14.06.2015
— 23.08.2015
vernissage: 13.06.2015 dès 17h30
en présence du photographe
présentation de l’exposition: 18h
La mer Noire de Klavdij Sluban ne ressemble guère à celle dont les feux illuminent les rues d’Odessa d’Isaac Babel, non plus qu’à celle, couleur de lilas, où la Lune chatoie sous les yeux de la dame au petit chien. Son nom, elle ne l’a pas volé, noire comme l’encre, en effet, et la nuit, noire comme les pas marqués dans la neige boueuse ou le regard des pauvres serrant leur cabas. Un cygne y fait l’autruche, tout son col secouant cette noire agonie. C’est une onde mauvaise à boire, la mer de la tragédie, celle de Médée et d’Iphigénie en Tauride, celle de Potemkine et des mutins. Elle-même, on ne la voit guère. Lieu de lueurs immobiles sous les colonnes, infinie scène de théâtre où erre un personnage minuscule. Ou bien terrain vague du ciel, rebut de nuages dilués en sale écume. A son bout, un banc n’attend personne, des parapets n’invitent à aucune contemplation. On est au pays de l’absence. Nul être humain ou presque ne paraît sur les rivages de cette mer qui semble être une catégorie de la ruine, un état de la décrépitude. Dalles lézardées, digues disloquées, tas de ferrailles bornent ses confins, où les épaves se dressent comme des stèles. Une guirlande d’ampoules sous la pluie est comme le monument dérisoire commémorant des fêtes très anciennes, depuis longtemps abolies. Des bateaux fantômes naviguent par-là, formes floues remorquant des paquets d’ombre. Partout répandu, quelque chose de funèbre. Du bord de ces paysages qui évoquent les ternes enfers des Anciens, on revient bredouille, au soir, par-dessus un achéron qui ressemble à un égout. S’il fallait lui donner un autre nom, à cette mer qui broie du noir, je l’appellerais la Mer de la Mélancolie.
Texte d’Olivier Rolin
Klavdij Sluban est un photographe français d’origine slovène, né à Paris en 1963. Il mène une œuvre personnelle rigoureuse et cohérente, ce qui en fait un des photographes-auteurs majeurs de sa génération. Souvent empreints de références littéraires, ses nombreux voyages photographiques se situent en marge de l’actualité chaude et immédiate. La mer Noire, les Caraïbes, les Balkans, la Russie, la Chine, l’Amérique centrale, les îles Kerguelen peuvent se lire chez lui comme une rencontre entre la réalité du moment et le sentiment intérieur du photographe dromomane. Ses noirs profonds, ses silhouettes à contre-jour confèrent à son écriture photographique une droiture et une justesse exemptes de tout didactisme ou exotisme.
Klavdij Sluban est lauréat de nombreux prix, dont le prix EPAP, European Publishers Award for Photography (2009), du prix Leica (2004), du prix Niépce (2000).