Michailovna called

Beat Schweizer

17.03.2019

 — 05.05.2019

vernissage: 16.03.2019 dès 18h
présentation de l’exposition en présence du photographe

Comment vit-on dans les régions les plus polaires au monde ? Et pourquoi leurs habitants y demeurent-ils en dépit des conditions de vie apparemment défavorables ?

Le thème de l’isolement occupe Beat Schweizer depuis de nombreuses années. Au cours de plusieurs voyages dans l’extrême nord de la Russie, il a en effet saisi la morphologie des lieux reculés et recherché l’origine de leur existence ainsi que leurs particularités.

Son projet à long terme nous présente des formes d’existence qui, au-delà de l’anecdote, permettent d’appréhender l’humain avec profondeur. Dans sa pratique documentaire, il aborde les habitants et leur environnement de manière sensible et imperceptible. Fort de son regard systématique, le photographe aime à évoquer le général à partir du singulier quand il ne recherche pas l’individuel dans le général. Mais il montre aussi un œil acéré pour le comique, le tragique et l’absurdité – une approche sensitive idéale pour révéler « l’anomalie de la vie quotidienne dans le nord du nord de la Sibérie » (d’après le sous-titre de la publication intitulée « À la frontière du gel », autoéditée en 2013). La galerie Focale présente sous une forme nouvellement éditée une sélection de photographies extraites du cycle de travail en trois parties de Beat Schweizer, réalisé entre 2012 et 2018.

Norilsk, 2017/2018

Norilsk est la ville des superlatifs : elle est la plus septentrionale du monde, située à 69 degrés de longitude nord, et elle est construite sur le permafrost. Elle est aussi connue comme la ville la plus polluée au monde. Les zones d’exploitation du minerai de nickel que la région abrite causent des dommages immenses à l’environnement et à la santé. Avec les ressources de la presqu’île russe de Kola, Norilsk couvre près d’un quart des besoins planétaires de cette matière première que l’on retrouve dans de nombreux alliages, en particulier dans l’acier inoxydable à forte résistance.

Les ressources naturelles et l’industrie offrent, grâce à des emplois bien payés et des infrastructures urbaines qui compensent la rigueur du climat polaire, un espace de vie pour 175’000 personnes. Toutefois, cette ville minière fondée en 1935 et utilisée comme goulag sous Staline reste très secrète: elle est fermée aux étrangers et accessible uniquement avec une autorisation spéciale.

Un tel sésame a permis à Beat Schweizer de se déplacer librement dans cette région. Il a cependant fallu l’intervention d’une connaissance, une ancienne fonctionnaire
de la police de l’aéroport, pour que son passage se déroule sans inconvénients (« Michailovna called »). Cette anecdote montre que dans un pays où tout dépend de la bureaucratie, beaucoup de choses paraissent impossibles alors qu’elles sont parfaite- ment réalisables, moyennant des contacts personnels décisifs.

A travers des compositions soignées, Beat Schweizer a photographié à Norilsk les façades des immeubles, les places publiques et les zones récréatives. Les portraits
et les vues intérieures, permettant le jeu entre le proche et le lointain, montrent les habitants dans leurs activités de loisirs, les cérémonies commémoratives ou encore les concours de beauté. Il en ressort l’image d’un univers replié sur lui-même et qui se suffit à lui-même. Un univers qui doit cependant son existence à des intérêts extérieurs et qui ne pourrait survivre sans les incitations et les garanties de Moscou. Ce sont ces dépendances et leur fragile existence que le photographe interroge.

Dikson (« An der Frostgrenze », 2013)

Tandis que Norilsk préserve l’apparence de la normalité urbaine, cela n’est pas le cas avec Dikson, un petit lotissement à l’embouchure du Jenissei à 73 degrés de longitude nord. Cet avant-poste de la civilisation, dont le drapeau représente un ours blanc
et qui vit 82 jours par an dans la nuit polaire, était considéré comme la ville la plus septentrionale du monde pendant l’ère soviétique. Après cette période, le nombre de ses habitants a chuté drastiquement. Autrefois plaque tournante pour le passage au nord-est, pour le contrôle vers la région arctique ainsi que point de départ des expéditions polaires, Dikson offre aujourd’hui un moyen d’existence à seulement quelques centaines de personnes. Les habitants se sentent livrés à eux-mêmes, la capitale de
la province de Krasnojarsk se trouvant à 2507 kilomètres de là. Les visiteurs, ainsi que les Russes, ont besoin généralement d’une autorisation spéciale pour y pénétrer. Les habitants de Dikson que Beat Schweizer a rencontrés vivent comme mécanicien ou s’occupent de la sécurité des frontières; ils gèrent une épicerie ou transmettent des informations météorologiques à Moscou. Leur existence est rendue possible par l’État, prétendument dans le but de sécuriser la frontière extérieure nord de la mère patrie. Beat Schweizer les a accompagnés lors de leur travail ou pendant leurs activités de loisirs comme la chasse, la pêche, la grillade ou tout simplement quand ils jouent ou regardent la télévision.

Teriberka (« Der Boiler », 2012)

Teriberka, la troisième destination visitée par Beat Schweizer, située à 69 degrés de longitude nord, souffre également d’une fort recul de sa population, en raison du déclin de la pêche côtière. Il y a quelques années, le groupe russe Gazprom a annoncé de gigantesques investissements avec des milliers d’emplois à la clé. Le gisement gazier Stockmann dans la mer de Barents devait en effet être mis en exploitation. Une partie de la population a craint pour les atteintes à l’environnement, tandis qu’une autre s’est réjouie des nouvelles perspectives économiques. Le projet a été cependant gelé, l’essor du gaz de schiste aux Etats-Unis ayant rendu l’exploitation gazière en Arctique non rentable. Les habitants de Teriberka poursuivent désormais leur combat contre l’abandon.

Comme dans les autres lieux qu’il a photographiés, Beat Schweizer nous entraîne dans cet univers à travers la destinée de quelques personnages choisis. Comme par exemple le chauffagiste, dont la tâche consiste à alimenter la chaudière en charbon afin de fournir de la chaleur à la ville, tandis qu’il noie son ennui dans la déprime et les séries tv russes.

Le travail documentaire de Beat Schweizer livre une vision empathique sur les conditions d’existence difficiles dans les zones retirées et sur la manière de les surmonter. Elle enregistre l’essentiel avec une sobriété qui débouche régulièrement sur la poésie ou le fantastique. Contrairement à un regard forgé par les préjugés occidentaux, l’auteur dessine une image complexe des effets des bouleversements climatiques, politiques et économiques dans l’espace post-communiste.

Au cours de ses voyages, Beat Schweizer travaille souvent avec l’écrivain alémanique Urs Mannhart pour produire des reportages autoédités. Cette combinaison du texte avec l’image et l’expérimentation de différentes formes de publications constituent un positionnement unique des deux auteurs dans le champ d’une pratique documentaire élargie.

(source: Sascha Renner, Coalmine Winterthur)

Biographie:

Beat Schweizer (*1982) vit à Berne et poursuit son propre travail documentaire en alternance avec des travaux de commande. Ses publications, principalement dans le format journal et accompagné des textes de l’écrivain Urs Mannhart, constituent des jalons significatifs de son expression artistique. 2003-2007 : apprentissage en tant que photographe, photographe indépendant depuis lors. Exposition de ses travaux documentaires personnels en Suisse, en Angleterre et en Russie.

Distinctions:
2018 Oeuvre d’artiste du canton de Berne
2016 1ère place catégorie Editorial, Swiss Photo Award – The Selection
2016 Stipendium für bildende Kunst, Fotografie und Architektur des Kantons Bern 2015 2ème place catégorie Reportage, EWZ Selection – Swiss Photo Award
2014 3ème plae catégorie Free, EWZ Selection – Swiss Photo Award
2012 Werkbeitrag des Kantons Bern für Fotografie
2012 3ème place catégorie Ausland, Swiss Press Photo Award
2009 Bourse Enquête photographique, Photoforum PasquArt

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