Maroc

Harry Gruyaert

Textuel
2013
107.-.–

« Dieu, le pape, le père », telle était la hiérarchie familiale en vigueur chez les parents du photographe Harry Gruyaert, belge, flamand et donc… catholique. L’artiste photographe a récemment rassemblé et en partie recomposé les deux pans majeurs de son œuvre, centrée par deux points distants mais cardinaux. L’un orienté par une terre natale mais refusée : la Belgique (Roots, éd. Hannibal-Xavier Barral, 2012) et l’autre magnétisé par la terre promise du Maroc, au travers d’une expérience menée quarante années durant. C’est une réédition augmentée du Morocco (éd. Schimmer Mosel, 1990), ouvrage dont peu d’exemplaires restent en circulation.

Sa reconquête du plat pays, débutée en 1977, après son émigration (il parle même de fuite) à Paris, suit d’abord en noir et blanc les lignes d’un grotesque teinté de surréalisme, jusqu’à porter au jour l’absurde du quotidien. Pendant les deux premières années du retour, le gris paraît comme l’écrin préalable au recueil de tout chromatisme à venir : d’abord comme lueur.

Cette exceptionnelle restitution de la Belgique dans ses contradictions esthétiques et sociales reste une pièce maîtresse de la photographie du XXe siècle. Rétrospectivement, l’enregistrement (portant souvent la trace de l’instantané, en signature de la vue et de la vie réussie) n’est pas  éloigné du regard cinématographique des frères Dardenne : Gruyaert n’est jamais au premier plan, son œil l’est.

L’expérience marocaine semble autre : après cette quête de soi, elle s’affirme d’emblée comme appartenance magique au Maroc rural des années 1970, appartenance immédiate à la toute couleur, à sa sublimation. Seule approche possible d’un pays réservé qui correspond peut-être à la propre timidité de Gruyaert, à son propre retrait. Ce basculement des lumières de la froide Europe à la palette chaude évite le poncif pictorialiste ou orientaliste du siècle précédent.

Toute esthétisation en est bannie. Gruyaert, peut-être fort d’une Belgique enfin acquise, n’a pas hésité à fracturer la société marocaine d’alors : peu de visages dans ses photographies. Cependant, il recueille leur refus de la prise de vue comme marque d’une identité qui se garde, d’un voile ou d’une main posée sur soi. Les successions de plans multiples, bien distincts, se confondent en surface, donnant les chatoiements inconnus. Au passage, la rivalité entre peinture et photographie s’effondre, renversant la table du tribunal des beaux-arts. Dans les photographies récentes, Edward Hopper n’est pas loin : amusement ironique ?

Parmi les tirages exposés, les deux très célèbres monochromes narratifs du grand Moussem d’Ilmilchil quand les sociétés de l’ancien Maghreb trouvaient rituellement à ressourcer leurs règles. Elles ont été aimées de Gruyaert pour leur unité.